Atelier franco-allemand de jeunes chercheurs et chercheuses sur les savoirs religieux

Cet atelier s’est déroulé toute la matinée du jeudi 15 juin dans une salle de réunion de la MISHA, avec la présentation de trois enquêtes en cours par des doctorant.e.s et post-doc, discutées par sept autres chercheurs post-doc ou confirmés (sociologie, études turques, psychologie, théologie).

Les échanges ont été animés par / Moderation des Austausches : Hanane Karimi (Unistra – LINCS), Wiebke Keim et Vincent Goulet (Unistra – SAGE), Almila Akca (Humboldt Universität – BIT).

L’objectif de cet atelier était d’aborder les questions théoriques et surtout méthodologiques à partir des terrains enquêtés par les jeunes chercheurs et chercheuses. Pour cet atelier, il pouvait être question d’autres religions que l’islam.

Mohammed Toualbia : les savoirs religieux acquis et mobilisés par les imams dans leur exercice

Doctorant au Berliner Institut für Islamische Theologie – Humboldt Universität/Berlin.

Mohammed Toualbia travaille sur l’hybridation des discours lors des prêches dans les mosquées entre les sciences religieuses et les sciences profanes. Mêler ces deux sources de légitimité permet d’accroitre la force persuasive des discours. Les « preuves scientifiques » sont souvent considérées comme incontestables et plus convaincantes que les récits mythiques. Les utiliser permet aussi à l’orateur de montrer son « ouverture intellectuelle ». Le jeune chercheur étudie des prédications en présentiel et leur enregistrement vidéo disponible sur le web. Puis il mène des entretiens qualitatifs avec les orateurs concernés.
Deux exemples ont été détaillés dans sa présentation : la prière musulmane permet de rester en bonne santé, notamment en soulageant du stress. Le prédicateur cite d’abord des hadiths (« Soulage-nous par la prière ») pour ensuite avancer des preuves scientifiques tirées d’ouvrages de vulgarisation. Le deuxième exemple a porté sur les vertus du pèlerinage pour éviter la pauvreté.
Lors de la discussion, il a été question de la construction de l’objet, car dans le discours islamique, il n’y a pas d’antinomie profane/sacré, ces deux discours n’étant pas considérés comme étrangers épistémologiquement parlant. D’autres part dans les mosquées européennes, les orateurs utilisent des sources indigènes (par exemple en citant des auteurs classiques français ou allemands, comme Proust ou Goethe) pour entrer en résonnance avec le désir d’ascension sociale de leurs auditeurs et auditrices. Il peut être utile de systématiser l’analyse thématique de ce genre de discours, resituer les orateurs dans le champ musulman en précisant leurs ressources et dispositions. La description des contextes d’énonciation peut permettre de mieux saisir les possibles réceptions.

Jeanne Deysson : la construction des savoirs religieux des néo-pentecôtistes

Doctorante à la faculté de théologie protestante de Strasbourg.

L’objet d’étude de Jeanne Deysson est la production de connaissances présentées comme valides par les milieux évangéliques néo-pentecôtistes, en mettant l’accent sur ce mouvement aux USA. Elle présente dans un premier temps l’espace pentecôtiste états-unien en l’analysant plutôt en termes de réseau que de champ et en montrant comment leurs principaux représentants ont pu conforter leur autorité : par la réussite économique, leur proximité avec une fraction ultra-conservatrice du parti Républicain (D. Trump). Ces leaders d’opinion charismatiques seraient regroupés en un réseau informel d’Eglises et de communautés religieuses appelé « INC Christianity »

Un certain nombre d’entre eux (comme Charles Peter Wagner) ont reformulé les savoirs religieux en développant certains aspects des textes bibliques (par exemple, la théologie de la prospérité ou la guerre spirituelle contre les forces du mal) et en réemployant des figures (secondaires) des textes fondateurs comme Jézabel. Selon Wagner, les chrétiens doivent conquérir le pouvoir pour « que la volonté du Père soit faite sur la terre comme au ciel » (« dominionisme »).

Ce réseau s’appuie sur des médias (comme le mensuel Charisma, diffusé à 275 000 exemplaires et considéré comme le plus important magazine évangélique des USA) et RSN relativement influents, dont la configuration et les emboitements sont décrit par la doctorante. J. Deysson enquête en ligne, procède par analyse de discours (en utilisant le logiciel MaxQDA) et projette de se rendre bientôt aux USA pour rencontrer des acteurs de cette mouvance.

Les discussions qui suivent l’exposé portent sur les méthodes de codage des discours, la construction des graphiques de réseaux, les carrières des différents acteurs du réseau INC Christianity. Par quels mécanismes cognitifs ou rhétoriques les gens peuvent-ils tenir pour valide ce type de narratifs ? Sur le plan théologique, on pourrait s’interroger sur les fondements de ce dualisme de type manichéen et comment peuvent s’opérer le processus de substantification des « entités collectives saisies par le mal ».

Enfin, il serait intéressant de voir comment les musulmans des États-Unis d’Amérique, mais aussi les autres courants religieux, considèrent cette mouvance néo-pentecôtiste.

Fatemeh Taheri : Circulation et transformation des savoirs dans les processus de traduction

Post-doc au Berliner Institut für Islamische Theologie – Humboldt Universität/Berlin

Formée en études germaniques à l’université Schahid-Beheshti de Téhéran, Fatemeh Taheri a mené sa thèse en Allemagne sur l’analyse sémantique des prédications chiites en langue allemande. Elle se consacre aux questions de traduction dans les espaces religieux et de la formation linguistique des imams en Allemagne.

Distinguant un volet sémantique et un volet pragmatique, son exposé a mis en évidence les différents niveaux de « traduction » (qu’il faut à la fois considérer comme une « production » et une « médiation ») selon les espaces de communication : entre experts, d’experts à croyants ordinaires, entre croyants ordinaires. Beaucoup de mots religieux arabes (ou perses) sont traduits de manière approximative en allemand, traductions qui ne font pas consensus (par exemple : Révélation/Offenbarung au lieu de « Descente » du Coran (racine n-z-l), Imitation/ Nachahmung pour Taqlid, mais on pourrait aussi parler des difficultés de traduire dîn, Ghayb, etc.).

Que se passe-t-il quand ces traductions ne font pas consensus ? En quoi les luttes sémantiques sont-elles la manifestation (et le lieu) de luttes symboliques à l’intérieur du champ musulman ? Il se pose bien sûr la question de la traduction « littérale » ou du « sens » (qui renvoie nécessairement à une interprétation), e qui a lieu direct avec la production des savoirs religieux.

F. Taheri remarque la production de néologismes (plus facilement acceptés en allemand qu’en français), comme Unachtsamkeitsniederwerfung (que l’on pourrait traduire par « prosternation de réparation pour cause d’inattention »). Le public des mosquées, les fidèles ordinaires peuvent aussi proposer des traductions. Comme en France, la traduction en langue indigène des formules coutumières est très rare : on n’entend guère en Allemagne les équivalents de « si Dieu veut », « plaise à Dieu », « Dieu merci » ou « la paix soit avec toi ». Le caractère émotionnel de ces formules dont le sens phatique est peut-être à relever, reste prégnant et joue comme un indicateur de démarcation identitaire.

Nous utilisons uniquement des cookies essentiels pour optimiser votre expérience sur le site Web. View more
Accepter